La prière: Les prières de l'enfance

HISTOIRES pour l'Explication du Catéchisme à l'usage des Diocèses de France

QUARANTE-NEUVIÈME LEÇON

La prière.

CINQUANTIÈME LEÇON

L'oraison dominicale.

CINQUANTE-ET-UNIÈME LEÇON

La salutation angélique.


Les prières de l'enfance

C'était en 1832. J'étais alors attaché au clergé de Saint Roch. J'avais fait longtemps le catéchisme aux enfants ; et non seulement le catéchisme ordinaire, mais ce que nous appelions et ce que l'on appelle encore les catéchismes de persévérance, auxquels les jeunes gens et les jeunes personnes continuaient à venir jusqu'au moment de leur mariage.
Je fus donc, un jour, appelé à bénir le mariage d'une de ces jeunes personnes, très pieuse, et qui avait suivi assidûment nos catéchismes de persévérance jusqu'à l'heure de ce grand engagement. Elle épousait un jeune homme très chrétien, en sorte que c'était un de ces mariages que l'on peut bénir avec consolation et espérance.
On fait ordinairement dans ces sortes de cérémonies un petit discours. Je fis ce discours d'usage, et je me souviens encore que pendant que je le faisais, j'eus une distraction. Celui qui me la donnait était un grand homme de six pieds au moins, qui seul était resté là debout pendant que tout le monde était assis, me regardant très fixement, et cela, comme il était le premier témoin, à trois pas de moi.
Cette proximité, cette haute taille, cet air original, ce regard fixé sur moi de si près, avaient appelé un instant mon attention, puis je m'étais dérobé à cette impression.
La cérémonie achevée, je me retirai, les mariés aussi, et je pensais que tout était fini.
Pas du tout. Le lendemain à cinq heures du matin, on sonnait à ma porte. C'était le marié lui-même qui venait me chercher précipitamment pour un malade en danger de mort, et ce malade c'était son oncle même, ce grand homme qui, la veille, m'avait singulièrement distrait. Très âgé, — il avait soixante-quatorze ans, — le froid l'avait saisi à la cérémonie même, et on craignait pour ses jours. Le médecin, immédiatement appelé avait déclaré son état sans ressources. Je sortis sur-le-champ, et chemin faisant, pour me renseigner, je fis quelques questions au jeune homme qui m'était venu chercher.
— Monsieur votre oncle était-il un bon chrétien ?
— C'était un bien bon homme, mais nous craignons qu'il ait fort négligé ses devoirs de religion.
— Est-ce qu'il a quelque idée de la gravité de son état ?
— Oui, il ne se fait pas d'illusion.
— Est-ce que c'est lui qui désire me voir ?
— Oui. Quand nous l'avons vu frappé, nous lui avons demandé s'il ne verrait pas volontiers un prêtre. Il ne s'y est pas refusé. Mais lequel ? II n'en connaissait point.
Alors dans son langage un peu à lui : « Celui que j'ai entendu hier, a-t-il dit. Il m'a plu, il fera bien mon affaire. »
J'arrivai donc rue Croix-des-Petits-Champs, dans un hôtel garni ; car, venu de la province pour assister au mariage de son neveu, il s'était logé à l'hôtel (je ne passe jamais dans cette rue sans regarder cet hôtel avec émotion). J'entre ; on me laisse seul avec lui ; je trouvai le malade, ce pauvre vieillard, étendu tout de son long dans le lit, et mourant. Je m'approche de lui ; et lui aussitôt me tend la main sans hésitation, simplement, avec quelque chose de loyal et de très net.
— Je vais mourir, me dit-il, et je voudrais faire ce qu'on fait en pareil cas. J'ai soixante-quatorze ans... il y a soixante-deux ans que je ne me suis pas confessé. Je suis un vieux militaire, que voulez-vous! Je me suis engagé à quatorze ans ; j'ai fait toutes les guerres de la Révolution et de l'Empire ; je n'ai jamais pensé à Dieu, mais je ne sais pas pourquoi, j'éprouve le besoin de ne pas sortir de ce monde sans m'être réconcilié avec Lui, comme si je l'avais connu.
Touché de sa franchise et de son accent extraordinairement sincère
Eh bien! lui dis-je, je vous aiderai, et Dieu vous aidera ; les choses sont si faciles avec les hommes droits comme vous!
Quand j'eus achevé sa confession, à l'aide de questions que je lui adressai :
— Maintenant, lui dis-je, je vais vous adresser une pénitence.
— Une pénitence! qu'est-ce que c'est que ça ? Je n'en ai pas l'idée.
Ainsi, en fait, il n'avait pas la première idée ni de la religion, ni du sacrement de Pénitence, ni de tout le reste. Vous comprenez quelle difficulté il y avait là... Un pauvre homme mourant, un pauvre vieillard qui ne savait pas un mot du christianisme ; seulement un instinct le portait à vouloir se réconcilier avec Dieu avant de mourir.
Je lui expliquai ce que c'est qu'une pénitence, et je lui dis :
— Vous souffrez, offrez vos souffrances au bon Dieu, cela me permettra de vous donner une pénitence facile. Vous direz simplement Notre Père et Je vous salue, Marie. »
Il me regarda du fond de son lit car, tout affaibli qu'il était par l'âge et la maladie, il avait encore une énergie extraordinaire dans le regard, et me dit :
— « Notre Père... Je vous salue, Marie... » qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'en ai jamais entendu parler.
Il en était là ce malheureux homme, il était arrivé à soixante-quatorze ans, et avait tout oublié, jusqu'à ces prières que l'enfance même sait bégayer !.. La religion était entièrement effacée de cette âme. Il ne restait rien, rien....
Je jetai un regard vers le ciel, reprenant courage, je sentis qu'il fallait un miracle pour tout lui révéler en un instant.
— Vous avez dû savoir cela, lui dis-je, ce sont des prières, les plus belles de la religion. Je vais vous aider un moment, je les réciterai moi-même, vous les réciterez avec moi, et nous répéterons tout cela.
Et, me mettant à genoux au pied de son lit et tenant sa main, je commençai.
Il me laissa dire les deux ou trois premières invocations du Pater ; puis, quand je fus arrivé à ces paroles : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés... » tout à coup, me serrant la main, et comme se réveillant d'un long sommeil :
— Oh! me dit-il, je me souviens de cela... Oui, je crois que, quand j'étais enfant, ma mère m'apprenait quelque chose comme cela. Voulez-vous recommencer ?
Je recommençai ; et alors, soudain, du fond de son âme, du fond de ses entrailles et de sa vie la plus éloignée, à travers toutes ces batailles et toutes ces guerres qui avaient passé sur cette vie et tout effacé de son âme, voilà que revient vivant à ce vieillard le souvenir de sa mère et des prières qu'elle lui avait apprises quand il était tout petit enfant, et voilà que de lui-même il se met à en retrouver une à une toutes les paroles. Je les vis sortir de son âme, comme si tout cela eût été enfoui et repassait tout à coup à la lumière, et s'interrompant à chaque verset :
« Oh ! disait-il, oui... je me souviens : Notre Père qui êtes aux cieux... C'est bien cela... que votre nom soit sanctifié... C'est bien cela encore ; je m'en souviens, que votre règne arrive... Oui, je me souviens avoir récité tout cela. Oh! comme c'est beau cette prière. »
Et arrivé à ces mots : Pardonnez-nous nos offenses : « C'est surtout de cela, disait-il, que je me souviens ; c'est ce qui m'a rappelé tout le reste ; ma mère me faisait dire cela quand j'avais commis quelque faute... »
Et il acheva ainsi toute la prière. Et puis il demanda de la répéter avec moi, et il ne se lassait pas de la redire.
Et quand il eut fini :
« Mais il y en a une autre, me dit-il, oh ! oui, je me souviens que ma mère me disait qu'il y avait une sainte Vierge... attendez... je vais retrouver cette prière. Dites-la moi, je la reconnaîtrai.
« Oh! oui, c'est cela... Je vous salue, Marie... »
Et il me prévenait... Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Et toutes les paroles lui revenaient, et tout cela renaissait comme miraculeusement dans son âme ; et enfin, aux dernières paroles, il se mit à fondre en larmes : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort.
Voilà ce qu'avaient été pour ce vieillard, ces prières qu'une pieuse mère lui avait apprises dans son enfance, germes précieux déposés dans son âme et longtemps enfouis ; mais enfin, ils étaient là, et au moment suprême, sous un rayon favorable de la grâce de Dieu, ils éclataient et devenaient la lumière de sa dernière heure et de son éternité.
Et il ne pouvait se lasser de les dire, de les répéter sans cesse... Enfin, le voyant fatigué, je le quittai, promettant de le revoir bientôt, et dès qu'il serait reposé.
Je revins bientôt effectivement, car je désirais extrêmement lui donner la sainte communion. Il communia dans les sentiments de la piété la plus vive ; tout lui avait été révélé par ces deux prières, je n'avais plus rien à lui apprendre.
Et je me souviens encore d'une de ces choses, comme il y en a souvent, qui sont pour moi, elles seules, ainsi d'ailleurs que beaucoup d'autres, des preuves certaines, inattendues, mais éclatantes de la divinité de Jésus-Christ. Je lui avais laissé un petit crucifix, lui disant qu'il n'y en avait peut-être pas dans son hôtel ; et il m'avait répondu en souriant qu'en effet il n'y en a pas souvent dans les auberges. Je l'avais vu saisir et presser de ses mains défaillantes contre ses lèvres et contre son cœur ce petit crucifix.
Je revins le lendemain à cinq heures du matin. Je demandai de ses nouvelles ; son neveu et sa nièce me dirent qu'il avait extrêmement souffert toute la nuit. Je lui demandai comment il allait.
— Mais cela va très bien, dit-il.
— Pourtant, repris-je, on me dit que vous avez beaucoup souffert cette nuit. Il me répondit :
— Ils ont dit cela ?... Ils ne savent pas que vous m'aviez laissé un consolateur,
Et alors tirant de dessous ses draps sa main décharnée, et me montrant le petit crucifix que je lui avais donné et qu'il n'avait pas quitté :
— Voilà, dit-il, celui qui me consolait. J'ai redit toute la nuit : Notre Père et Je vous salue, Marie... et c'est ce qui fait que je n'ai pas souffert.
Ainsi voilà un homme qui avait tout oublié, et qui non seulement franchissait tous les intervalles pour arriver au salut, mais encore s'élevait du premier pas jusqu'à la plus haute perfection de la foi et de la perfection chrétienne.
Encore un coup, ces deux simples prières lui avaient tout révélé, Et pour moi, je n'ai jamais vu entrer dans la vie éternelle plus admirablement.
(Mgr DUPANLOUP).

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