28 décembre : les saints Innocents, Martyrs (d'après les Bollandistes)

LES SAINTS INNOCENTS, MARTYRS,
A BETHLÉEM DE JUDA ET AUX ENVIRONS.
L'an 1. — Roi des Juifs : Hérode, le Grand.
 


Salvete. flores martyrum,
Quos lucis ipso in limine
Christi insecutor sustilit,
Ceu turbo nascentes rosas.
Salut ! fleurs des martyrs, moissonnées au seuil
de la vie par le glaive de l'ennemi du Christ,
comme la tempête en fureur brise les roses qui
viennent d’éclore.     Prudence.

 


Le nom de martyr ne devrait être proprement donné qu'à ceux qui ont perdu la vie pour la gloire du vrai Dieu, qui sont morts pour la foi, en confessant et en soutenant sa doctrine devant les infidèles, ou qui, voulant garder une vertu dont il a recommandé la pratique, ont été massacrés pour la justice, pour la défense de la chasteté, de la piété ou des droits ecclésiastiques. Cependant l'Église catholique, inspirée et conduite par le Saint-Esprit dans toutes ses cérémonies, ne fait point difficulté d'accorder cette glorieuse qualité aux saints Innocents, parce qu'ils ont confessé Jésus-Christ, par l'effusion de leur sang, n'étant point encore capables de le confesser par leurs paroles, puisqu'en effet ç'a été à son occasion, et même comme en sa place, qu'ils ont été cruellement massacrés par le commandement du roi Hérode.


Saint Matthieu nous apprend que ce prince, n'ayant obtenu le royaume de Judée que par la faveur des Romains et appréhendant toujours qu'il ne lui fût ôté, tomba dans des frayeurs et des inquiétudes extrêmes, lorsque les Mages, arrivés à Jérusalem, demandèrent où était né le Roi des Juifs, dont ils avaient vu le signe en Orient. Ils voulaient parler de cette étoile que Balaam avait prédite (Nb 24,17). Il dissimula néanmoins sa frayeur, et, afin de savoir précisément le lieu où était cet enfant à qui les cieux promettaient déjà le sceptre et l'empire, il leur dit d'aller l'adorer à Bethléem, et, lorsqu'ils lui auraient rendu leurs devoirs, de prendre la peine de repasser par Jérusalem pour lui en dire des nouvelles, afin qu'il pût aussi lui aller présenter ses hommages avec toute sa cour.
Son dessein était de le faire égorger et, par ce moyen, de rendre vaines les espérances des Patriarches, les prédictions des Prophètes, les prières des Juifs et toute l'attente de l'Ancien Testament. Mais la sagesse de Dieu confondit sa fausse prudence.

Les Mages se rendirent à l'étable, adorèrent l'enfant, lui offrirent leurs présents, reçurent sa bénédiction, et, avertis par un ange, ne repassèrent pas à Jérusalem, mais retournèrent dans leur pays par un autre chemin. Hérode, ne les voyant pas revenir, crut qu'ils n'avaient rien trouvé de ce qu'ils cherchaient et que la honte qu'ils avaient d'avoir entrepris un si grand voyage sous une fausse imagination les avait empêchés de paraître une seconde fois dans sa ville royale ; de sorte qu'il ne s'en mit plus en peine. Mais informé de ce qui s'était passé au temple, lorsque la sainte Vierge y avait porté son divin Fils, et ayant appris que le juste Siméon avait prédit des choses merveilleuses de cet enfant ; qu'Anne la prophétesse l'avait reconnu pour le Rédempteur d'Israël, et que tous ceux qui étaient présents avaient été dans l'admiration de ce que ces personnes, inspirées de Dieu, en publiaient, il commença à reconnaître qu'il avait été trompé par ces princes. Ainsi ce monstre de cruauté, que l'ambition et la passion de régner avaient déjà porté à des meurtres exécrables, prit la résolution de trouver cet incomparable enfant à quelque prix que ce fut, et d'en faire la victime de sa fureur et de son orgueil.


Il envoya pour cela des officiers de tous côtés, et fit prendre partout des informations pour savoir ce qu'il était devenu. Mais que peut la malice de l'homme contre les conseils éternels de la sagesse divine ? Un ange fût envoyé à saint Joseph, pour lui découvrir le dessein exécrable de ce prince cruel, et lui ordonner de prendre l'Enfant et la Mère, de les mener en Égypte et d'y demeurer avec eux jusqu'à nouvel ordre. Saint Joseph obéit ponctuellement à ce commandement. Il se leva à l'heure même, il prit l'Enfant et la Mère et s'enfuit en Égypte, et par un moyen si humiliant, que la Providence de Dieu avait choisi plutôt qu'une infinité d'autres que sa toute-puissance pouvait employer, l'Enfant ne put être trouvé et il fut préservé de la cruauté d'Hérode.
Ce tyran, pour satisfaire sa passion et se délivrer du chagrin mortel et de l'inquiétude qui le rongeaient jusqu'à la moelle, s'imagina que cet enfant pourrait bien être caché dans quelque maison de Bethléem ou aux environs, et que le moyen de s'en défaire était de l'envelopper dans le massacre général de tous les enfants de cette contrée. Ainsi il donna ses ordres pour égorger tous les petits enfants au-dessous de deux ans et au-dessus du temps qu'il s'était fait marquer par les Mages, tant dans la petite bourgade de Bethléem que dans ses limites, c'est-à-dire dans les villages qui étaient autour. L'Histoire sainte ne marque pas les particularités d'une exécution si détestable, elle a laissé à la liberté des lecteurs d'en penser ce que la piété leur inspirerait ; mais saint Grégoire de Nysse et saint Augustin ont employé toute leur éloquence pour nous exprimer la cruauté des soldats qui en furent les ministres, les cris des mères qui voyaient arracher de leur sein ceux qu'elles venaient de mettre au monde, les plaies de ces innocents que l'on massacrait, avant qu'ils eussent pu commettre aucun crime digne de châtiment, et la gloire de leur mort, puisqu'ils mouraient pour Jésus-Christ, qu'ils mouraient en sa place, et comme s'ils avaient été Jésus-Christ.


Le nombre de ces innocents massacrés en cette journée n'est pas certain. Quelques-uns l'ont fait monter jusqu'à cent quarante-quatre mille, parce que saint Jean, dans son Apocalypse, parlant des âmes innocentes qui suivent l'Agneau dans le ciel, parle de ce nombre. Mais il n'y a point d'apparence qu'une bourgade aussi petite que Bethléem, et ses limites, aient nourri, en si peu de temps, un si grand nombre de petits enfants. Alphonse Salmeron, dans ses Commentaires sur les Évangiles, dit qu'il y en eut quatorze mille et que les chrétiens d'Éthiopie, que nous appelons Abyssins, en font mémoire au Canon de la messe. Génebrard dit aussi que les Grecs marquent ce nombre dans leur calendrier. Mais ces calculs sont évidemment exagérés. Au reste, il n'est pas nécessaire d'en savoir le nombre et il aurait été bien difficile de les compter. Ce qui est certain, c'est que Dieu en a tenu un compte exact et qu'il n'y en a pas un seul à qui il n'ait donné la couronne précieuse du glorieux martyre. Saint Augustin dit à ce sujet : « Celui qui ne croit pas que le Baptême de Jésus-Christ soit utile aux enfants, pourrait douter aussi que votre mort et que votre sang répandu pour Jésus-Christ vous aient obtenu la couronne de l'immortalité. Vous n'aviez pas l'âge pour croire qu'il devait souffrir ; mais vous aviez déjà un corps capable d'endurer la mort pour Celui qui devait mourir pour nous ». Et saint Bernard ajoute : « Si vous cherchez pour quelles actions méritoires ces enfants ont été couronnés de la main de Dieu, cherchez aussi pour quels crimes ils ont été cruellement massacrés par Hérode. Serait-il possible que la bonté du Sauveur eût cédé à l'impiété de ce tyran, et qu'Hérode ayant pu les livrer à la mort, nonobstant leur innocence, Jésus-Christ n'ait point pu leur donner la vie éternelle, quoiqu'ils fussent morts à son occasion?»
Il était juste aussi que l'Église célébrât tous les ans une fête pour honorer leur martyre et pour implorer leur protection. Nous ne dirons pas précisément quand elle a été établie, car nous n'en avons pas de connaissance bien certaine. Il y a une Homélie de Diversis, attribuée à Origène, qui en parle bien clairement, mais il n'est pas assuré qu'elle soit de lui. Quelques-uns doutent aussi des sermons de saint Augustin que nous lisons en cette fête et le jour de son octave, qui sont le premier et le troisième des Innocents parmi les sermons des Saints. L'Église néanmoins les propose comme de ce saint docteur, et ils sont effectivement de son style. Quand même ils n'en seraient pas, ils seraient toujours d'un auteur fort ancien et peu éloigné de son temps, car il est certain qu'ils parlent distinctement et en termes évidents de la fête de ces bienheureux couronnés. Nous y avons un témoignage qu'ils étaient appelés « Fleurs des martyrs » : qui jure dicuntur Flores Martyrum, parce que, ayant poussé de bonne heure parmi les frimas de l'infidélité, comme les premiers boutons de l'Église naissante, ils ont aussitôt été consumés par la gelée de la persécution.


Si l'on demande pourquoi le Sauveur, en venant au monde, a permis la mort d'un si grand nombre d'innocents, nous disons premièrement qu'il l'a fait pour son plus grand honneur, pour l'exaltation de son nom, afin qu'on eût partout des nouvelles de sa naissance, et que non seulement les Juifs, mais les Gentils et les Romains mêmes, quelque éloignés qu'ils fussent, ne manquassent pas d'en être informés. Aussi saint Jean Chrysostome, saint Augustin et les autres Pères conviennent qu'Hérode, par le massacre de ces enfants, a plus contribué à la gloire de Jésus-Christ et à publier sa venue que s'il l'eût été adorer avec toute sa cour ; car, quand il lui aurait rendu cet hommage, on n'en aurait presque pas parlé hors de la Judée et le bruit n'en aurait pas couru jusqu'à Rome ; au lieu que la cruauté qu'il exerça envers les Innocents et le sujet qui le porta à une résolution si barbare volèrent incontinent par toute la terre et, en se répandant ainsi de toutes parts, les nations les plus éloignées apprirent qu'il était nouvellement né un enfant à Bethléem, dont Hérode, roi des Juifs, redoutait la puissance et que l'on disait devoir être le maître et le souverain du monde entier. Saint Augustin ajoute encore que, Dieu ayant voulu naître sur la terre, il était raisonnable qu'on lui offrît des victimes, et que ces victimes devaient être des enfants sans malice, parce qu'il était venu pour condamner et pour détruire l'iniquité des hommes. Deus est qui natus est, Innocentes ei debentur victima. Ajoutons que Jésus enfant devait avoir ses martyrs, aussi bien que Jésus crucifié et mourant sur la croix. Si donc tant de Saints ont monté sur des échafauds et enduré le martyre depuis que Jésus a été consumé par les rigueurs de sa Passion, ne nous étonnons pas que des milliers d'innocents aient été martyrisés pour être les glorieux témoins de la sainteté adorable de sa divine enfance.


Nous disons en second lieu que le Sauveur a permis ce massacre pour la gloire et le bonheur particulier de ces enfants. Ceux qui n'ont que des vues humaines et charnelles regardent leur mort comme une grande infortune ; ils les plaignent de ce qu'ils ont été enlevés presque dès leur naissance ; en effet, l'Écriture nous présente Rachel comme une mère inconsolable de la mort de ses enfants : Rachel plorans folios suos et noluit consolari, quia non sunt. Mais saint Augustin, qui avait l’âme éclairée des lumières de l'éternité, ne fait point de difficulté de dire : Nunquam profanus hostis beatis parvulis tantum prodesse potuisset obsequio, quantum profuit odio : « Jamais cet ennemi barbare et inhumain n'aurait pu procurer tant d'avantage à ces bienheureux enfants par sa bienveillance et par ses services, qu'il leur en a procuré par sa haine et par sa fureur ». En effet, il les a tirés des misères de cette vie, il les a délivrés du danger d'offenser Dieu et de se perdre éternellement en participant à la dureté du cœur et à l'infidélité de leurs parents et de toute leur nation ; il a été la cause qu'ils ont triomphé sans le savoir et qu'ils ont été couronnés sans avoir jamais pensé a résister au péché ; il les a rendus illustres dans le ciel et sur la terre, et, en les faisant les victimes de son ambition et de sa rage, il en a fait en même temps de très nobles citoyens du paradis et de très glorieux compagnons qui ont suivi l'Agneau.
Que cet âge, s'écrie encore le même saint docteur, est heureux, qui, ne pouvant encore prononcer le nom de Jésus-Christ, a néanmoins mérité d'être massacré pour son honneur ; à peine pouvait-il recevoir une plaie et il s'est trouvé propre pour le martyre. Que ces enfants ont été fortunés de trouver la vie éternelle dès leur première entrée dans le monde et un moment après leur naissance ! Ainsi, que Rachel se console, qu'elle ne dise plus, pour justifier sa douleur, que ses enfants ne sont plus. Ils sont bien plus véritablement qu'ils n'étaient auparavant. Ils étaient sans parole et sans raison, et maintenant ils sont des prédicateurs éloquents qui nous annoncent les grandeurs du Sauveur du monde. Ils étaient fragiles, infirmes et sujets au péché, et maintenant ils jouissent d'une innocence et d'une sainteté qui ne sera jamais altérée. Ils étaient exposés à une infinité de misères, et en danger de tomber dans la dernière des peines, c'est-à-dire la damnation éternelle, et maintenant ils sont exempts de tous ces malheurs où ils possèdent un bonheur qui n'aura jamais de fin. Ils sont donc avec vérité et ils doivent être plutôt un sujet de joie, de consolation et de louange que d'affliction et de larmes. C'est ce qui fait dire à notre saint docteur, dans son premier sermon : Nascente Domino luctus cœpit non cœlo, sed mundo : « A la naissance de Notre-Seigneur on a commencé à pleurer, non pas dans le ciel, mais parmi le monde ».


En troisième lieu, le Sauveur a permis cette horrible exécution des innocents pour l'avantage de leurs propres parents, car, outre que ce fut un grand honneur pour eux d'être pères et mères des premiers martyrs, il est certain que la douleur qu'ils sentirent de leur mort leur servit devant Dieu de satisfaction pour leurs péchés, et il ne faut point douter que Jésus-Christ, dont la libéralité et la magnificence sont infinies, ne leur ait donné, en cette considération, des grâces particulières pour leur faire concevoir des sentiments de componction et de pénitence et pour les faire entrer dans les voies de la justice et de la sainteté. La seule connaissance qu'ils eurent par là de la naissance du Messie, que le ciel et la terre attendaient depuis tant de siècles avec une sainte impatience, était un si grand trésor, qu'on peut dire qu'ils ne perdirent rien en l'acquérant par la mort de leurs enfants.


Enfin nous pouvons ajouter que ce massacre fut permis pour le bien de toute l'Église ; car n'est-ce pas un grand honneur pour elle d'avoir au nombre de ses enfants cette glorieuse armée de victimes innocentes, égorgées et sacrifiées pour Jésus-Christ, son divin Époux ? Leur sang, plus beau que le vermillon, ne relève-t-il pas admirablement sa beauté ? Et, comme ils mêlent le lait de leur innocence avec le sang de leur martyre, ne la rendent-ils pas semblable à son Bien-Aimé, de qui elle dit : Dilectus meus candidus et rubicundus : « Mon Bien-Aimé est blanc et vermeil ? » D'ailleurs, ils instruisirent l'Église des limbes, et lui apprirent la naissance bienheureuse d'un Rédempteur ; et maintenant ils assistent puissamment l'Église militante par leur intercession auprès de Dieu. Car il ne faut pas douter, dit saint Augustin au sermon IVe, qu'ils n'obtiennent par leurs prières plus que les autres martyrs, puisqu'ils les ont tous précédés par l'effusion de leur sang. De plus, nous apprenons par leur mort qu'il n'y a point d'âge qui soit plus propre au service de Dieu et qui puisse plus contribuer à sa gloire ; et les pères et les mères doivent pareillement apprendre qu'il est de leur obligation de lui offrir et de lui dédier leurs enfants, dès qu'ils paraissent au monde, et qu'ils ne doivent pas se désoler ni se laisser aller à des chagrins mortels, lorsque la divine Providence les retire de la terre pour les placer dans le ciel. Nous ajoutons que, par la gloire de ces Innocents, il paraît que le Baptême, qui a la force du martyre, comme le martyre a la force du Baptême, ne sert pas seulement aux personnes adultes, mais encore aux petits enfants, à qui il est conféré au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

 

Il nous reste à remarquer ici que le cruel Hérode ne fut pas, même dès cette vie, sans une juste punition de son impiété. Il avait appréhendé sans sujet que le Sauveur du monde lui enlevât son sceptre et sa couronne ; car, comme dit l'Église : Non eripit mortalia, qui regna dat cœlestia : « Celui qui vient donner le royaume des cieux n'a pas intention d'ôter aux monarques les royaumes de la terre ». Saint Augustin lui dit à ce propos : « De quoi t'a servi ta cruauté, ô roi impie et barbare ? Tu as pu faire des martyrs, mais tu n'as pu trouver Jésus-Christ que tu voulais égorger. Tu t'imaginais qu'en venant au monde, il te chasserait de ton trône ; mais tu étais dans l'erreur. Il n'est pas venu pour prendre la gloire d'autrui, mais pour donner la sienne. Il n'est pas venu pour ravir les royaumes de la terre, mais pour offrir le royaume du ciel. Il n'est pas venu pour s'emparer des grandeurs et des dignités d'ici-bas, mais pour souffrir des injures et des opprobres. II n'est pas venu pour avoir la tête couronnée de diadèmes, mais pour y porter une couronne d'épines. Enfin, il n'est pas venu pour y être élevé au-dessus des empires, mais pour y être attaché à une croix et y endurer la mort » Hérode donc se trompa, et son erreur, animant son ambition, fut cause du meurtre des Innocents, mais elle fut cause en même temps de sa ruine.


Voici comme l'historien Josèphe décrit les maux dont la justice divine l'affligea : « Une chaleur lente, qui ne paraissait point au dehors, le brûlait et le dévorait au dedans. Il avait une faim si ardente, que rien ne pouvait le rassasier. Ses intestins étaient pleins d'ulcères. Des coliques violentes lui faisaient souffrir d'horribles douleurs. Ses pieds étaient enflés et livides, ses aines ne l'étaient pas moins ; plusieurs parties de son corps étaient si corrompues, que l'on en voyait sortir les vers. Ses nerfs étaient tout retirés, son haleine était si mauvaise, qu'il était presque impossible d'approcher de lui ». Un état si misérable le porta au désespoir et lui fit demander un couteau pour se tuer ; il l'aurait effectivement fait, si l'on n'eût arrêté la rage qui le possédait. Enfin, au lieu de réparer tant de crimes dont il était coupable, par quelque action de clémence, comme il savait que les Juifs se réjouiraient de sa mort, il donna ordre d'égorger, à l'heure qu'il rendrait l'âme, toutes les personnes de qualité qu'il tenait en prison, afin que chaque famille considérable de son royaume eût sujet de répandre des larmes lorsqu'il sortirait du monde. Cet ordre, néanmoins, ne fut pas exécuté ; il mourut seul, détesté de tout le monde, avec la réputation d'un monstre de nature et du plus méchant homme qui eût jamais été sur la terre. Saint Augustin ajoute qu'il aura au jugement de Dieu toute l'armée des saints Innocents contre lui, non plus enfants et muets, mais dans l'âge de la plénitude de Jésus-Christ, et qui auront une langue forte et éloquente, pour demander justice de sa cruauté ; et comment pourra-t-il résister à une armée si nombreuse et si puissante, principalement ayant pour juge cet Enfant adorable qu'il a voulu étouffer dans le berceau ?


Nous laissons au lecteur à comparer le bonheur des saints Innocents avec le malheur de ce roi perfide. Ceux-là règnent avec Dieu, et celui-ci est réprouvé avec les démons. Ceux-là se réjouissent et se réjouiront à jamais dans le ciel, et il est condamné à des douleurs éternelles. La mémoire de ceux-là est en bénédiction dans le monde, et la sienne est et sera toujours en exécration et en malédiction. Enfin, son corps a été mis dans la terre comme une chair corrompue réservée aux flammes de l'enfer, et les corps de nos Innocents seront un jour glorieux dans le paradis ; quelques-uns sont depuis longtemps en vénération dans l'Église. Avant la Révolution, on en voyait un en entier à Saint-Denis, dans son berceau fait de branches de palmier et enchâssé dans une caisse d'argent doré, qui fut donnée à cette abbaye par l'empereur Charlemagne, et un autre à l'église des Innocents, à Paris, encore en chair et en os, enfermé dans un cristal garni d'argent et enrichi par la magnificence du roi Louis XI.
A Bethléem, non loin de la grotte de la Nativité, est une chapelle qui porte le nom des Saints-Innocents ; elle a été dédiée à ces innocentes victimes, soit parce qu'il était convenable qu'elles fussent honorées près du berceau pour lequel elles ont répandu leur sang, soit que leurs corps, comme le disent les traditions, aient été jetés dans la caverne qui se trouve au même lieu.
L'art populaire a traité le sujet du massacre des saints Innocents, témoin la frise d'un sarcophage, antérieur probablement au Ve siècle, et qui se trouve dans la crypte de Sainte-Madeleine, à Saint-Maximin de Rome.

On y voit Hérode assis sur un pliant de forme antique, faisant de la main un geste impératif, et devant lui deux soldats qui, exécutant ses ordres, enlèvent chacun un enfant. L'un des deux, qui est armé d'une épée, tient sa victime élevée au-dessus de sa tête, et semble se disposer à la précipiter à terre avec violence. Plus loin se présente une femme aux cheveux épars, qui est sans doute la mère réclamant son enfant. Ce tableau remplit l'un des côtés du couvercle partagé en deux par la tablette destinée à recevoir le titulus du défunt ; et il est digne de remarquer que. l'autre partie est occupée par l'adoration des Mages, sujet offrant avec le premier un contraste qui n'échappe à personne, et devait sans doute, dans l'intention de l'artiste, encourager les chrétiens persécutés, en leur montrant que Dieu sait déjouer les projets des méchants et soustraire qui il veut à leur fureur. — Un diptyque d'ivoire, de la cathédrale de Milan, à peu près de la même époque que le tombeau, offre le même sujet représenté presque exactement de la même manière. — Il se retrouve encore dans la mosaïque de l'arc triomphal de Sainte-Marie-Majeure, œuvre datant aussi du Ve siècle. Mais ici ce n'est que la première scène de cette sanglante tragédie. Les soldats envoyés par Hérode semblent notifier les ordres qu'ils ont reçus à un grand nombre de femmes qui tiennent leurs enfants dans leurs bras. Le premier de ces soldats, qui est sans doute le chef, se retourne vers ses compagnons, et de la main leur montre leurs victimes.
Les saints Innocents sont les patrons des enfants de chœur et des enfants trouvés.
 
Le Père Giry revu et complété avec les Saints Lieux, par Mgr Mislin ; les Caractéristiques des Saints, par le Père Cahier ; et le Dictionnaire des Antiquités chrétiennes, par M. l'abbé Martigny.

 

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