L'amitié selon Saint Jean Chrysostome

Voici un extrait du commentaire de Saint Jean Chrysostome sur la première lettre aux thessaloniciens. (ch2)

C'est à mon goût l'un des plus beaux textes que l'on peut trouver sur le sujet.

Cette lettre est lue à la messe le 28 mai pour la fête de Saint Augustin de Cantorbéry!

Les Thessaloniciens avaient eu de grands combats à soutenir. Ils méritaient donc quelques louanges afin de s'affermir de plus en plus dans leurs bonnes résolutions. Cependant ces louanges pouvant devenir suspectes, saint Paul s'efforce de prévenir ces soupçons. C'est dans cette vue qu'il leur parle de ses périls. Et, d'autre part, afin que l'on ne croie pas qu'il parle de ses périls pour s'attirer des hommages en retour, il ajoute : « Parce que vous m'êtes très-chers». J'aurais volontiers donné ma vie pour vous, parce que je vous suis étroitement attaché. Nous annonçons l'Evangile parce que Dieu nous l'ordonne ; mais notre affection pour vous est telle que, s'il le fallait, nous livrerions pour vous notre âme. Telle est l'amitié véritable, celui qui aime donnerait sa vie si elle lui était demandée et que cela fût possible. Que dis-je, si elle lui était demandée? bien plus (188) il courrait lui-même au-devant d'un tel don. Rien de plus doux qu'un tel amour; il n'est mêlé d'aucune amertume. Un ami fidèle est vraiment le baume salutaire de la vie; un ami fidèle est vraiment un rempart solide.

Que ne ferait pas un ami sincère? Quelle joie n'apporte-t-il pas à la vie, quelle utilité, quelle sûreté? Des trésors par milliers ne seraient pas comparables à un sincère ami. Parlons donc des délices d'une sainte amitié. Eu voyant son ami, l'ami éprouve une joie dont il est inondé. L'union de leurs deux âmes leur procure d'ineffables délices; il suffit d'un souvenir de l'ami pour élever la pensée, pour lui donner des ailes. Je parle des vrais amis, unis du fond de l'âme, prêts à mourir s'il le faut, dont l'affection est ardente. Je ne veux pas que l'on pense à ces amis vulgaires, amis de table, amis de note, ce n'est pas de ceux-là que je parle. Si quelqu'un possède un ami tel que celui que j'ai en vue, il me comprend. Il ne se rassasie jamais de le voir, le vît-il tous les jours. Il lui souhaite les mêmes biens qu'à lui-même. J'ai connu un homme qui commençait toujours à prier pour son ami, ensuite pour lui-même. Tel est un ami, qu'on aime, à cause de lui jusqu'aux temps, jusqu'aux lieux mêmes. Comme les objets qui ont de l'éclat, le font rejaillir tout autour d'eux, de même les amis laissent quelque chose de leur amabilité aux lieux qu'ils fréquentent. Et souvent nous retrouvant dans ces mêmes lieux sans nos amis, nous pleurons au souvenir des jours que nous y avons passés avec eux. Il n'est pas donné au discours de représenter tout le plaisir que nous fait goûter la présence d'un ami, ceux-là seuls le connaissent, qui en ont fait l'expérience. On peut librement demander une grâce à un ami et la recevoir sans la moindre honte. Lorsqu'ils nous prient de quelque chose, nous leur en savons gré lorsqu'ils craignent de nous importuner, nous ne nous en consolons pas. Nous n'avons rien qui ne soit à eux. Souvent, lorsque tout nous inspire du dégoût en ce monde, nous ne voudrions cependant pas les quitter. Ils nous sont plus agréables que la lumière du jour.

4. Non, la lumière du jour elle-même n'est pas plus douce qu'un ami, qu'un véritable ami. Et ne vous étonnez pas de ce que je dis. Mieux vaudrait, pour nous, que le soleil s'éteignît, que d'être privés de nos amis; mieux vaudrait vivre dans les ténèbres que d'être sans amis. Pourquoi? parce que beaucoup peuvent voir le soleil et rester néanmoins dans les ténèbres, et que ceux qui sont riches en amis, ne sauraient ressentir de tristesse au milieu même de l'affliction. Je parle toujours dès véritables amis, des amis spirituels, et qui ne préfèrent rien à l'amitié. Tel était saint Paul , qui aurait, de bon coeur, donné sa vie sans même attendre qu'on la lui eût demandée, et qui eût, sans hésiter, descend et dans les flammes de l'enfer. C'est avec cette ferveur qu'il faut aimer. Je veux donner un exemple d'amitié. Les amis aiment leurs amis avec plus de tendresse gire les pères n'aiment leurs enfants, que les enfants n'aiment leurs pères, le dis les amis selon Jésus-Christ. Ne me parlez pas des amis d'aujourd'hui , l'amitié est une vertu que nous avons perdue avec tant d'autres. Mais remontez vers les temps apostoliques, et, sans parler des apôtres eux-mêmes, considérez quels étaient les simples fidèles, dont il est dit qu'ils n'avaient tous qu'un coeur et qu'une âme ; que nul ne regardait comme sa propriété exclusive rien de ce qui lui appartenait, et qu'on distribuait à chacun selon son besoin. (Act. IV, 30.) Les mots « le tien» et « le mien» ne s'entendaient jamais parmi eux. Ne rien tenir comme sa propriété exclusive, mais tout regarder comme le bien du prochain, considérer ses propres biens comme des choses étrangères, épargner la vie de son ami comme la sienne propre : c'est dans la réciprocité, cette disposition que consiste la vraie amitié.

Et où trouver une telle amitié? dira-t-on. En effet, elle est difficile à rencontrer à cause de notre mauvaise volonté que notre volonté change et rien ne sera plus facile. Si une telle amitié n'était pas possible, Jésus-Christ ne nous l'eût pas commandée; il t'en eût pas fait un précepte si exprès. Il faut le dire encore une fois, c'est quelque chose de grand que l'amitié. C'est un bien qui ne peut s'exprimer ni se connaître que par l'expérience , l'union des amis a été quelquefois jusqu'à produire des hérésies; c'est elle qui fait que les païens sont encore païens. Celui qui aimé ne veut ni dominer ni commander. Il se tient pour obligé qu'on lui commande. Un ami aime mieux faire un plaisir que le recevoir, parce qu'il aime. Il est, en donnant toujours, comme un homme qui ne peut satisfaire ses désirs. Il ne trouve pas tant de plaisir dans le bien qu'on lui fait, que dans le bien qu'il fait lui-même. Il (189) aime mieux obliger son ami que d'être l'obligé de son ami, ou plutôt il veut devoir et qu'on lui soit redevable. Il veut faire plaisir, et il ne veut pas paraître faire plaisir, mais paraître l'obligé tout en obligeant.

Je suis sûr que beaucoup d'entre vous n'entendent rien à ce que je dis. En effet, il semble qu'il y ait de la contradiction à dire qu'un homme en prévienne un autre, qu'il commence à l'obliger le premier, et qu'en même temps il veuille ne point paraître l'avoir prévenu. C'est ainsi que Dieu lui-même a agi à notre égard. Il voulait nous donner son propre Fils; mais pour ne pas paraître nous le donner gratuitement, mais comme quelque chose qu'il nous devait, il commanda à Abraham de lui donner son fils; de sorte que tout en nous faisant le plus grand des dons, il paraissait ne rien faire d'extraordinaire. Celui qui n'aime point, reproche le bien qu'il fait, et exagère jusqu'aux moindres grâces. Celui qui aime, au contraire, cache tout le bien qu'il fait et veut que ses bons offices passent pour rien. Bien loin de vouloir qu'on croie que son ami lui ait obligation, il fait tout son possible pour faire croire que c'est lui-même qui lui est obligé des services qu'il lui a rendus. Je vous le dis encore : je sais bien que plusieurs ne comprennent rien à ce que je dis, car je parle d'une vertu qui n'est plus guère maintenant que dans le ciel. Lorsque je vous parle de l'amitié, c'est comme si je vous parlais de quelque plante inconnue qui viendrait dans l'Inde, et que vous n'auriez jamais rencontrée. Tout ce que je pourrais vous en dire, ne vous en donnerait pas l'exacte connaissance, puisque je ne pourrais pas vous en faire sentir la vertu par expérience. De même quelque éloge que je fasse de l'amitié, vous ne me comprendrez pas si vous n'aimez. — C'est dans le ciel qu'est cette noble plante ; c'est là qu'elle pousse des branches chargées, non de perles mais de vertus infiniment plus précieuses. Comparez l'amitié à tous les plaisirs honnêtes ou déshonnêtes, vous n'en trouverez pas qui l'égale. L'amitié surpasse toutes les douceurs du monde, sans excepter même celle du miel, puisqu'on finit par se dégoûter du miel et jamais d'un ami. Tant qu'il est ami, on ne s'en lasse point; au contraire, on l'aime toujours de plus en plus, et la douceur qu'on y senti n'est point mêlée d'amertume.

Un ami est plus agréable que la vie même, c'est pourquoi on en a vu ne plus désirer de vivre après la mort de leurs amis. On souffre de bon cœur l'exil avec un ami, et sans lui on est comme exilé dans son propre pays et dans sa maison même. On trouve la pauvreté supportât le avec un ami; sans lui, ni la santé ni les richesses n'ont rien qui nous plaise, tout nous est insupportable. On retrouve dans un ami un autre soi-même. Je souffre de ne point trouver d'exemple qui me satisfasse. Je reconnais, avec confusion, que tout ce que je dis est infiniment au-dessous de la vérité. Car les avantages que j'ai marqués ne regardent encore que cette vie. Mais ensuite Dieu récompense une amitié semblable au-delà de ce qu'on peut s'imaginer. Il nous offre une récompense afin que nous nous aimions les uns les autres. Aimez, dit-il, et recevez une récompense ; c'est nous qui devrions, pour cela, offrir une récompense. Priez, dit-il encore, et recevez une récompense; c'est nous encore qui devrions offrir une récompense pour les biens que nous demandons. Parce que vous me demandez mes grâces, recevez une récompense. Jeûnez et soyez récompensé. Devenez vertueux et je vous récompenserai, bien que vous me soyez redevable. Lorsque les pères ont rendu leurs enfants vertueux, ils les en récompensent ; car ils leur sont redevables du plaisir qu'ils éprouvent de les voir vertueux. Dieu fait de même. Devenez vertueux, nous dit-il, et je vous promets une récompense. Votre vertu réjouit mon cœur de père, et pour cela je vous dois une récompense. Si vous devenez mauvais, c'est tout le contraire; car vous irritez l'auteur de votre existence. N'irritons pas Dieu, réjouissons au contraire sort cœur, afin que nous obtenions le royaume des cieux en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

Traduit par M. JEANNIN

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